03/10/2005 @ 14:22:54:
Darwin, l'hermine et le ramoneur
La question de l'évolution m'a toujours intrigué.
Les hasards des commandes d'éditeurs m'ont amené à traduire plusieurs livres qui traitaient des origines de l'homme, certains fort sérieux et d'autres plus farfelus. Comme il faut bien croûter et comme je ne suis, somme toute, qu'un mercenaire de l'édition, je me borne a mettre ma plume au service du texte, tout en gardant fièrement, tel Florent Pagny, ma liberté de penser.
Au demeurant, les mécanismes de la sélection naturelle ont quelque chose qui me paraît absolument fascinant, même si je n'arrive pas vraiment à comprendre - faute d'un bagage scientifique suffisant, j'imagine - comment ils pourraient évacuer complètement l'idée d'un sens à la vie, qu'on veuille y voir la main d'un dieu créateur ou une intelligence diffuse imprégnant le monde naturel.
Prenons l'exemple de l'hermine. Voilà un animal dont la fourrure a la particularité étonnante de devenir blanche en hiver, hormis le bout de la queue qui reste noir en toute saison (ça me rappelle une vieille blague à propos d'un ramoneur, mais ne nous laissons pas distraire...). Il est loin d'être le seul à connaître cet albinisme saisonnier, mais son cas suffira pour illustrer mon propos.
Les tenants du "dessein intelligent" ("intelligent design", c'est ainsi que les créationnistes américains ont rebaptisé la version "scientifique" qu'ils prétendent opposer à la théorie de l'évolution) y verront sans doute un argument à l'appui de leurs thèses: il faut qu'il y ait une intention derrière ce changement de couleur qui permet au prédateur de se fondre dans les paysages enneigés (intention pas très charitable pour ses proies, d'ailleurs, mais c'est une autre histoire). Les darwiniens s'en gaussent en disant (je présume) que le hasard et la sélection naturelle suffisent à expliquer comment l'évolution a favorisé ce trait héréditaire qui confère à l'animal un avantage concurrentiel.
Moi, ce que je n'ai jamais réussi à comprendre dans l'histoire, c'est: la sélection entre quoi et quoi? Pour qu'une caractéristique qui semble à ce point "étudiée pour" puisse être le fruit du hasard, il faudrait qu'elle ait été sélectionnée parmi des milliers d'autres cas de figure: des hermines dont le pelage ne change pas de couleur, des hermines dont le pelage devient blanc en été, des hermines dont c'est seulement le bout de la queue qui change de couleur, des hermines qui deviennent bleues, vertes, violettes, enfin bref... La sélection naturelle, d'accord, mais si l'autre facteur est seulement le hasard, cela suppose un gaspillage phénoménal et toutes sortes de variantes absurdes et forcément vouées à disparaître dont la paléontologie n'a, dirait-on, pas gardé la moindre trace.
J'ai beau être un évolutionniste convaincu, c'est un point qui m'a toujours laissé perplexe. Les bouquins que j'ai pu lire sur le sujet sont trop sérieux pour s'abaisser à considérer ce genre de gamineries tout juste dignes d'un littéraire friand de paradoxes. Quant aux rares scientifiques à qui j'ai pu poser la question, ils ne m'ont jamais vraiment répondu et me regardent depuis d'un oeil torve, comme si j'étais tout à coup devenu suspect de complaisances créationnistes (Dieu m'en préserve).