Il est de ces jours étranges, où la trame même du temps exude un cynisme absolu; comme si les maîtresses de l'Echeveau torturaient leur ouvrage afin d'en corrompre le fil. De ces moments surréalistes, d'une lucidité presque douloureuse, où l'on se rend compte que, plus qu'une illusion, c'est un idéal tout entier qui s'est retrouvé sacrifié sur l'autel du profit et de la compétitivité.
En 1987, Jean-Jacques Goldman écrivait :
“...Et partout s'érigent en Maître
Les nouveaux Rois sans philosophes :
Le Rock, le Dollar, les Antennes...
Coca et Kalachnikov.”
Ces mots étaient empreints d'une indéniable préscience, mais portaient également en eux un germe fatal : celui qui, peu à peu, allait gangréner l'idéal de leur auteur.
En ces jours houleux pour le gouvernement français, alors que la sarabande des trahisons virevolte autour de la fameuse loi DADVSI (Droit d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information), alors que ministres, ministrables, ministères, partis, artistes et lobbys de tous bords montent au créneau pour défendre leur (soit-disant) sacro-sainte prérogative à l'exploitation de la bêtise humaine, un homme vient de porter le coup de grâce au concept de la "licence globale", seul compromis équitable et valable tant sur l'aspect éthique que sur l'aspect commercial.
“Il est tout à fait impossible de mettre les gens devant un ordinateur connecté à Internet et de leur dire « soyez sympa, ne téléchargez pas illégalement ! » ”
Même source. Mais à dix-huit ans d'intervalle, le message a bien changé. Là où l'artiste des eighties finissantes prônait la rébellion et le politiquement incorrect, autant le conformisme actuel a eu raison de la flamme. Certes, on n'en est pas encore à la stupidité crasse des membres du groupe Kyo, ou à l'incurie béate et imbécile d'un Sarkozy... Mais la réalité est là.
En 1987, à l'issue d'un concert donné à Kinshasa, j'ai eu l'occasion de rencontrer personnellement Goldman — nous avions même échangé quelques accords lors d'un "boeuf" fort sympathique. J'avais appris à apprécier l'engagement de l'homme derrière l'artiste. Comme quoi, tout a une fin.
Dommage.
Dernière édition: 10/03/2006 @ 16:22:58