Quand on évoque les désagréments de la vie citadine, on parle bien souvent de l’insécurité et de la circulation. On cite généralement ensuite les loyers et les crottes de chien et l’on croit, un peu vite, en avoir fait le tour. C’est oublier la pluie et les travaux publics, ces deux calamités qui s’abattent régulièrement sur nos villes et qui unissent leurs efforts pour transformer en torrents bourbeux les rues et les trottoirs.
Sur la pluie, on sait à quoi s’en tenir: les averses sont le fruit d’une collusion entre l’Institut Royal Météorologique et les syndicats d’initiative du pays, qui y voient une sorte de couleur locale, soutenus par le lobby des marchands de parapluies, ces infâmes profiteurs de la détresse humaine.
En ce qui concerne les travaux, on a avancé l’hypothèse d’une manoeuvre des grandes surfaces pour ruiner le petit commerce. Il est rare en effet que les tranchées ouvertes dans les trottoirs ne condamnent pas l’accès à une boulangerie, une boucherie ou une épicerie.
Sur l’étrange phénomène de symbiose qui fait apparaître en même temps pluie et travaux, on se perd encore en conjectures et on se borne pour l’instant à constater le fait. On ignore toutefois le plus grave: cette association, déjà néfaste en soi, a en outre favorisé l’implantation sous nos climats d’un fléau redoutable, qui tient de la mine antipersonnel et fonctionne selon le principe de la vexation universelle. J’ai nommé le “pavé gicleur”, tristement connu des piétons. Le pavé gicleur est une machine infernale qui adopte sournoisement l’aspect d’un pavé ordinaire, à cette différence près qu’il repose sur une couche de boue noirâtre, boue qu’il expulse avec un bruit trivial sitôt qu’un malheureux passant pose le pied sur lui, souillant ignoblement chaussures, bas et pantalons.
On a pu espérer un moment que cette forme de terrorisme urbain cesserait de sévir avec la disparition progressive des pavés. En vain: le monstre s’est adapté pour engendrer une abjecte mutation, la “dalle gicleuse”, qui est au pavé ce qu’est la bombe H à la bombe A.
Quel avenir nous réserve cette nouvelle sorte de criminalité? La passivité et le laxisme des autorités ont, dans cette perspective, de quoi faire frémir.