Le (long) texte qui suit est tiré du blog de l'auteur, journaliste et philosophe belge Marcel Sel. Je vous invite à le lire, c'est édifiant de justesse et remarquable d'exactitude.
Marcel Sel: "Déclaration gouvernementale flamande. La crise exposant con."
« Le Gouvernement Flamand s’engage à ne pas ratifier la Convention des Minorités. » Cette phrase clôture la Déclaration Gouvernementale du nouvel exécutif flamand. Elle s’oppose à la philosophie même de l’Union Européenne parce que la ratification de cette Convention-cadre pour la Protection des Minorités est exigée de tout nouveau candidat-membre. Ainsi donc, le plus officiellement du monde, la Flandre, région de Belgique qui agit comme un état, s’oppose à ce minimum minorités européen. Et cela parce qu’elle ne supporte pas la langue de sa minorité à elle, le français. De ce fait, elle s’érige en modèle de ce qu’il ne faut pas faire. Cette simple phrase de clôture, qui l’exclut de facto du concert des nations respectueuses des droits de l’homme avant même qu’elle ne devienne — éventuellement — une nation, n’est que le sommet de l’iceberg : la Déclaration Gouvernementale flamande est une véritable bombe à retardement. Elle peut faire exploser le pays. »
671 fois plus flamand.
On les savait nationalistes. Mais lire le programme en entier donne le vertige. Sur cent pages, le mot « Flandre » et son adjectif « flamand » apparaissent 671 fois ! Le mot « Belgique » et son adjectif « belge », seulement dix-huit fois et, à une exception près, il n’est utilisé que pour expliquer comment la Flandre va désormais tirer profit de l’Etat belge pour parvenir à ses fins.
A ce niveau-là de flamingantisme, on est dans le pathos. Et on a la désagréable impression que les hommes politiques du Nord ne voient pas autre chose, pas une seconde. Flandre ! Vlaanderen ! Vlaams ! Flamand ! Vlaming ! Pourtant, dans ce gouvernement très nationaliste, il y aura les chrétiens-démocrates de Kris Peeters (ministre-président flamand reconduit) et de Herman Van Rompuy (premier ministre… belge réputé sage). Il y aura surtout les indépendantistes flamands de la N-VA, ces « démocrates » qui veulent abolir le Centre de l’Egalité des Chances ; dont le patron a comparé, en 2007, les agissements d’Israël aux camps d’extermination de la nazis ; qui décrivent les Francophones de Flandre, même ceux qui y sont nés, comme des « inwijkelingen » (immigrants) ; qui nient l’existence d’une minorité francophone de plus de 100.000 âmes dans leur futur état (1 million si l’on se souvient qu’ils veulent annexer Bruxelles) ; qui nient aux Bruxellois le droit à l’autodétermination ; dont un membre du bureau politique, Mark Demesmaeker, est si proche du Vlaams Belang qu’il fréquente le rassemblement extrémiste flamingant annuel, l’Ijzerwake, où l’on commémore ouvertement les ex-collabos nazis (voir plus bas). Brrr.
Il y aura enfin les socialistes flamands qui, en signant cette Déclaration Gouvernementale-là, et en acceptant avec enthousiasme de collaborer avec ces indépendantistes-là, se discréditent moralement aux yeux de toute gauche occidentale pour avoir, en tant que socialistes, adoubé le nationalisme flamand, erreur funeste pour deux raisons : d’abord, le nationalisme, comme le dit exactement Jean Quatremer, n’est pas une valeur de la gauche. Ensuite, la dernière fois qu’on a mélangé nationalisme et socialisme, ça s’est terriblement mal passé.
Raccourcis terrifiants.
Aïe. On va me reprocher d’avoir traité les Flamands de nazis. Ce n’est pourtant pas ce que je dis, pas du tout : j’affirme simplement que la distance entre gauche et nazisme en Flandre est trop courte, que tous les gardes-fous y sont tombés, que la population est soumise à une opinion qui en a assimilé les principaux préceptes, énumérés aussi régulièrement par leur presse que par leurs politiciens : supériorité de l’économie flamande, de la gestion flamande, de l’école flamande, de la politique flamande, du choix de l’électeur flamand, de l’administration flamande, de l’économie flamande, de la politique d’intégration flamande, des médias flamands, de la presse flamande, des institutions flamande, et ainsi de suite jusqu’à la nausée. Car on ne peut terminer cette énumération sans conclure logiquement à la supériorité du Flamand lui-meme… Et ça, c’est racial, ethnique, nationaliste, totalitaire. Le nazisme n’est pas loin, en filigrane, surveillant et alimentant la mécanique. Je vous sens dubitatif(ve). Mais suivez le parcours qui suit et dites-moi ce qu’il vous inspire :
1. Caroline Gennez, présidente du P.S. flamand, se félicite de ses bonnes relations avec son nouveau partenaire de gouvernement, le nationaliste Bart De Wever.
2. Bart De Wever a dans son bureau politique un certain Mark Demesmaeker.
3. Mark Demesmaeker est un visiteur assidu de l’Ijzerwake.
4. L’Ijzerwake est ce pèlerinage annuel où, en 2004, on a honoré le Pétain flamand, le chef nazi antisémite Staf De Clercq.
Je vous défie de faire un tel raccourci, aussi rapide, entre socialisme et nazisme, avec un autre parti socialiste (ou simplement démocrate) européen. Pire : j’en ai d’autres à vous proposer dans la suite. En Flandre, ces relations ne gênent personne. En revanche, alors que partout ailleurs, il est du plus sage esprit démocrate que la presse les recherche et de les dénonce, en Belgique néerlandophone, les relever tient de la flamandophobie ou de la folie furieuse ! Vous verrez ci-après les commentaires que me vaudront de les avoir dévoilés…
Créer une crise en pleine crise…
Laissons momentanément ces dangereuses proximités pour nous demander à quoi jouent les partis flamands. La crise est bien là (elle provoquera un recul de près de 4 % du PIB !) Etait-il utile, raisonnable, censé, d’y ajouter la crise des institutions ? Même en sachant que le CD&V (parti chrétien-démocrates et flamand) n’a peur de rien, on s’étonne quand même de la dureté du programme dont je vais vous dévoiler quelques pans, qui revient ni plus ni moins à déclarer la guerre à l’état belge (selon la technique de la terre brûlée — une folie crasse en temps de crise), à créer un véritable apartheid social, à annexer Bruxelles, et à nettoyer linguistiquement (donc ethniquement — au sens flamingant) la périphérie bruxelloise.
Pendant ce temps, le premier ministre belge, Herman Van Rompuy, qui appartient au même parti que Kris Peeters, joue les pompiers en criant à hue et à dia qu’il n’est pas temps d’opposer les régions par une politique centrifuge et, ce faisant, de tirer sur l’ambulance. Pang ! pang ! répond la faction de son propre parti au Gouvernement flamand ! « On est en grève du zèle jusqu’à ce que les Francophones, et l’état fédéral nous cèdent tout. » Mais oui : le même parti qui prône ici la pacification lance là-bas la guerre totale. Etonnante dualité ! On chasse vite la désagréable impression que le premier ministre ne remplirait son rôle de grand sage que le temps que le Gouvernement flamand obtienne ce qu’il veut des Francophones. Parce que cela signifierait qu’Herman Van Rompuy a un rôle à jouer dans cette stratégie flamande qui prétend obtenir tout par la force et la menace. Or, si la Flandre obtenait gain de cause, la Belgique imploserait rapidement, parce que les Francophones gagneraient plus à vivre seuls qu’à se conféderer avec cette Flandre-là. En principe, les politiciens flamands ne peuvent l’ignorer. Dans ce cas, l’action du Gouvernement flamand revient à un coup d’état prémédité. Et le premier ministre serait impliqué…
Comment annihiler l’Etat. L’air de rien.
Commençons par l’apartheid social. Il effraye les partis francophones parce qu’il revient à « détricoter » la sécurité sociale. Or, celle-ci est l’un des deux derniers axes de maintien de la nation. Eh non, monsieur Leterme, la Belgique n’est pas « le roi, le foot, la bière », mais bien, à peu près : « la solidarité sociale contre 50% de Bruxelles et la paix en périphérie. » Les Flamands ne se rendent-ils pas compte que toucher à l’un de ces deux tabous absolus revient à provoquer la déchirure définitive ? Et que celle-ci ne pourra être que violente, parce que Bruxelles n’est pas partageable. Après cinq années d’assauts sur la périphérie, voilà donc l’assaut sur le social.
Déjà, dans ce pays, en 2009, le Flamand payait (un peu) moins d’impôts sur le revenu (via la ristourne-travail) que le Bruxellois et le Wallon. Il réglait généralement moins d’impôts locaux (ce qui n’est pas nécessairement choquant en soi), et nettement moins de droits immobiliers (ce qui est inacceptable lorsque les biens sont réservés aux seuls néerlandophones). Le Flamand, mais aussi le Bruxellois néerlandophone, pouvait bénéficier de l’assurance-service-sociaux qui était refusée au Bruxellois francophone et au Wallon. Le nouveau gouvernement promet d’aller beaucoup plus loin : offrir aux seuls Flamands et aux Néerlandophones de Bruxelles une allocation familiale supplémentaire, une allocation scolaire plus élevée, une assurance-hospitalisation, des maxima facturables pour les services aux handicapés et certains services sociaux (uniquement néerlandophones bien sûr) compensés par la Flandre. Autrement dit, un véritable apartheid social où les populations les plus défavorisées (situées à bruxelles et en wallonie) se voient exclues d’une bonne partie des nouveaux avantages sociaux, désormais réservés aux flamands.
Sécurité raciale ou sécurité sociale ?
L’idée même d’un tel apartheid social dans la capitale de l’Europe est la révélation, pour ceux qui en doutaient encore, que la politique flamande actuelle a assimilé les théories communautaires du parti d’extrême-droite Vlaams Belang, qui représenta jusqu’à un bon quart de l’électorat en 2004 et se pavane régulièrement sur les chaînes nationales flamandes, bien qu’il eût été interdit voici cinq ans pour racisme. La Flandre a donc assimilé ses préceptes au point qu’elle ne voit même plus en quoi l’établissement d’une sécurité sociale raciale (c-à-d. qui différencie deux citoyens d’un pays en fonction des langues qu’ils parlent — désolé d’appeler un chat un chat !) constitue un scandale sans précédent en Europe occidentale, ou plutôt que le précédent le plus récent est trop épouvantable pour qu’on y pense ! Beaucoup de Flamands rétorqueront qu’il n’y a pas de différence raciale entre eux et les Francophones et évidemment c’est tout à leur honneur. Mais cette différence, ou plutôt, cette différenciation est bien présente, en toile de fond, quand les journaux flamands parlent des Francophones comme des êtres d’ailleurs, étranges ou étrangers, les traite d’hypocrites ou de lâches à la une, à l’instar du Nieuwsblad à l’été 2008 ; quand le Parlement Flamand traite les Belges francophones d’immigrés ou les associe à « ceux de langue autre » (anderstaligen) ; quand Bart de Wever les compare aux (nouveaux arrivants) Marocains et Turcs, soit les populations les plus mal considérées en Flandre, qui pour un quart s’y plaignent de racisme ; quand Gerolf Annemans, membre éminent du Vlaams Belang déclare à la VRT que seul un « scientifique » peut définir le Flamand (et en quoi la définition d’un Flamand peut-elle être scientifique si elle n’est pas génétique ?) ; quand le même parti, qui eut jusqu’à un million d’électeurs, affirme dans l’une de ses publications que même génétiquement, le Flamand se distingue du Francophone (dans Breuklijn, le magazine de formation des jeunes du Vlaams Belang, dont l’éditeur responsable est le chef de groupe du Vlaams Belang au Parlement Européen !).
Dois-je enfin rappeler les regrets exprimés par certains politiciens éminents et démocrates de Flandre quant à l’impossibilité d’attribuer la « ristourne-emploi » aux seuls Flamands de Bruxelles ? Ou l’acharnement avec lequel le gouvernement flamand précédent, moins nationaliste que celui qui vient, a réservé l’assurance-service-santé, non pas aux Néerlandophones de Bruxelles, mais à tous ceux des Bruxellois qui « le souhaitent » (hypocrisie incroyable dès lors que toute la documentation est en néerlandais et que seuls les services néerlandophones agréés par la Flandre peuvent être remboursés…) Je conclus donc que les Flamands considèrent, dans leurs critères politiques, les Francophones comme étant suffisamment différents d’eux pour justifier des politiques différenciées. Et cela s’appelle de l’apartheid. Si ce n’est pas la présence massive du Vlaams Belang dans le paysage politico-médiatique qui insuffle ça, alors il faut admettre que les Flamands sont par nature racistes, ce que personnellement je n’admets pas. Le coupable n’est donc pas le Néerlandophone de ce pays, même s’il a voté de manière troublante. Le coupable, c’est son élite médiatique et politique.
Face à cet apartheid annoncé, on s’insurgera de la mollesse des partis, journaux et télévisions francophones qui abordent bien le sujet — et reconnaissent effectivement qu’il y a un énorme problème — mais sur un ton grincheux, dubitatif, éventualiste qui dissimule trop bien la réalité ethnique de la question et donne l’impression qu’après tout, ce n’est « pas si grave » ; « ils ne le feront pas vraiment » ; « ils n’en ont pas les moyens » ; « ce n’est pas légal », etc. Mais oui, c’est « si » grave ! Oui, ils le feront ! Oui, ils s’en donneront les moyens ! Et non, ce n’est pas légal, mais ça, ils s’en fichent. Vous voulez qu’on reparle des scandaleux et nombreux dénis de démocratie lors des élections européennes en périphérie ? Tout y était illégal, de l’interdiction d’afficher à la lettre envoyée aux électeurs par des pouvoirs organisateurs pour inciter à ne pas voter pour des partis francophones en passant par l’incitation au refus des documentations en français sans oublier l’autorisation à l’incivisme donnée par le ministre flamand de l’intérieur Marino Keulen ! Mais seul Damien Thierry a osé affronter cette invraisemblable déni de justice. Les journaux ont joué l’anicroche, le pas important. En réalité, on est dans le gravissime. « Où sont les journalistes ? » aurait dû chanter Patrick Juvet (un bon point malgré tout pour la Libre Belgique qui a, voici deux semaines, publié un excellent article, très inquiétant, sur la doctrine Maddens. Il vaut mieux être inquiet que noyé sans comprendre qui vous tient la tête sous l’eau…).
Côté périphérie, l’Apartheid va bien, merci.
Côté périphérie, la Flandre s’engage à continuer sa politique sélective en matière de nouveaux logements et de logements sociaux, sur des bases aussi floues que « la culture » (doit on comprendre : « la langue » ?) du demandeur et « son lien fort avec la région » (doit-on comprendre le lien du sang au sol ?), sans oublier l’obligation de 240 heures de cours de néerlandais pour tout candidat-locataire social, même s’il est né dans la région. Le Néerlandophone, lui, a droit à son logement social sans discussions. Le Francophone doit retourner à l’école. Hein ?
Si nous reconnaissons, en humanistes, qu’il n’y a absolument aucune différence ethnique ni raciale entre un Francophone, un Flamand, un Wallon, un Bruxellois, un Germanophone (et ainsi de suite jusqu’à l’aborigène) nous devons admettre que cette propension du Gouvernement Flamand à vouloir explicitement offrir plus de droits aux Néerlandophones de Belgique et à se plaindre que le « fédéral » (à 58% flamand) freine la Flandre (dans l’octroi d’avantages supplémentaires aux Flamands) est la preuve que la politique du nord a un fort caractère racial. Ce n’est pas notre faute à nous si cela s’appelle de « l’Apartheid ».
Déclaration de coup d’Etat
C’est le deuxième aspect troublant de la Déclaration Gouvernementale flamande, pas tellement par son contenu — d’un cynisme hallucinant — mais par la proximité d’idées qu’il révèle encore entre les partis de centre-gauche (socialistes flamands, chrétiens-démocrates flamands, nationalistes-républicains flamands) et l’extrême-droite néo-nazie. J’avais ici déjà montré pourquoi l’accueil officiel par Kris Peeters du patron du Vlaams Belang (co-fondateur des jeunesses estudiantines nationalistes homophobes, racistes, et visiblement nostalgiques du Reich au point d’imprimer la forme du S de SS au-dessus d’un de leurs locaux à Anvers) était une abomination. Désormais, ce ne sont plus les bonnes relations, mais carrément les idées qui semblent lier le centre-gauche à ces néo-nazis. Une fois de plus, je vous propose de tirer vos conclusions vous-mêmes :
1. Kris Peeters, ministre-président chrétien démocrate de la Flandre signe une déclaration gouvernementale qui reprend la doctrine Maddens de « grève du zèle » de la Flandre pour annihiler le pouvoir central et « affamer » les Francophones (« de Franstaligen verhongeren » selon un journaliste de la VRT qui s’adressait à Bart Maddens qui a acquiescé…) pour les obliger à céder aux exigences flamandes en matière de réforme de l’état.
2. Ce professeur en politologie, Bart Maddens, est un collaborateur régulier de la revue Doorbraak (Percée) publiée par le mouvement ultraflamingant Vlaamse Volksbeweging (Mouvement Populaire Flamand).
3. Le VVB (Vlaamse Volksbeweging) participe si activement à la fête annuelle des ultraflamingants Ijzerwake que son trésorier, Wim de Wit, vient d’en être nommé président.
4. L’Ijzerwake réunit le Vlaams Belang, le Tak, le Voorpost, le VNJ, etc. Ce dernier mouvement de jeunesse a ceci de remarquable que l’une de ses activités s’appellent le « gouw » (Gau en allemand…), dirigé par un Gouwleider (Gauleiter — base de la hiérarchie nazie chère à Hitler). Comme je l’ai dit ci-avant, c’est encore à l’Ijzerwake, en 2004, qu’on a honoré le chef nazi Staf De Clercq devant plus de 3.000 personnes. Mais je n’ai pas précisé que celui-ci avait exigé en 1941 la disparition des Juifs de Flandre pour une question « de santé publique ».
4 bis. On aurait aussi pu dire que le VVB collabore avec le TAK qui lui-même agit avec le Voorpost, qui honore chaque année August Borms, si ami des Nazis qu’ils l’ont invité à visiter l’usine IG Farben d’Auschwitz en 1943, et que ce même Voorpost recommémorera la mort de Staf De Clercq, nazissime flamand, le 13 septembre.
Ça décoiffe, non ? En même temps, je ne dis certes pas que Kris Peeters est un nazi ou un nostalgique du Reich, mais j’affirme qu’il est révélateur qu’il aille chercher sa doctrine chez un homme qui fréquente des nostalgiques du Reich. Et je prétends, suivant cette simple relation logique de faits, que la doctrine de Bart Maddens peut être considérée d’obédience ultra-nationaliste, utilisant des concepts de supériorité raciale pour prétendre au droit de la Flandre d’utiliser des méthodes illégales et anticonstitutionnelles pour créer une politique, au mieux, d’apartheid, au pire, de nettoyage linguistique et ethnique de la « Flandre éternelle et inviolable », Bruxelles incluse. Je ne dis pas que ceci se fera, je dis qu’on en parle, que ça se sait, et que personne n’a l’air de vraiment s’alarmer. Je dis que la télévision flamande invite Bart Maddens à s’exprimer, qu’il a ses colonnes ouvertes dans De Standaard. J’affirme que la Flandre est malade.
De Bart-Maddens-doktrine.
La doctrine de Bart Maddens, exprimée en mars dans le Standaard (justement) est simple : puisque les Francophones n’ont pas accepté le Diktat flamand de 2007 (91 matières à scinder, dont la sécu, les impôts, la justice, la police, le droit d’auteur…), il recommande que la Flandre ne leur demande plus rien. Mais qu’elle saborde aussi, en même temps, l’état fédéral pour que Bruxelles et la Wallonie, affamées, acculées par les problèmes financiers, la supplient d’accepter de « négocier ». Cette dernière serait alors en position de force, et pourrait imposer ce qu’elle veut.
En évoquant cette doctrine, je pense que c’est Bart de Wever, président des indépendantistes de la N-VA qui a parlé de « terre brûlée ». Il a en tout cas recommandé de mettre l’état central sous « curatelle ». Quand une région met l’état dont elle fait partie sous curatelle, est-ce qu’on n’est pas exactement face à la recommandation d’un coup d’état ? Avons-nous donc bien lu que la N-VA a demandé ouvertement un coup d’état parfaitement anticonstitutionnel ? Est-il bien compris dans ce pays que 58% de la population aura trois ministres de ce parti ? Mais oui ! Vous avez compris. Ces gens sont au pouvoir de la Flandre et prétendent décider de toute politique à Bruxelles et en Belgique.
La Déclaration Gouvernementale flamande reprend donc presque mot pour mot l’idée du coup d’état à la Maddens. Et concrètement, la Flandre utilisera ses compétences au maximum pour vivre sa vie. Exemple ? Elle décidera qu’une assurance-service-sociaux n’est pas, contrairement aux critères européens, de la sécurité sociale et se déclarera compétente. La phrase que vous venez de lire est à mettre au passé : cette assurance, la Flandre l’a déjà votée et mise en place. Autre exemple ? Elle estimera que, si elle n’a pas le droit de lever l’impôt personnel et d’en fixer le taux, elle peut parfaitement offrir des ristournes à ses ouailles et créera la jobkorting (ristourne-emploi), une façon détournée de privilégier le contribuable flamand. Cette phrase-ci aussi est à mettre au passé : la jobkorting existe et sera reconduite partiellement. Et sachant cela, un grand journal nocturne francophone doute encore des capacités ou de la volonté de la Flandre de mettre ses menaces en pratique !
Aujourd’hui, la Flandre décide, par écrit, de continuer à jouer avec les mots, les règlements, les lois, la constitution, pour faire absolument ce qu’elle veut, niant toute véritable solidarité nationale et refusant purement et simplement l’état de droit, piétinant la Constitution qu’elle ne brandit que lorsqu’elle l’arrange (BHV…)
Pire. Bart Maddens a eu l’idée de détourner une disposition légale visant la protection des intérêts culturels d’une communauté : le conflit d’intérêt. Conçu pour permettre, par exemple, à une minorité nationale (ou régionale) de se protéger contre une majorité hostile, elle fut utilisée régulièrement par les Francophones pour retarder le vote de la scission de BHV (y compris une fois à la demande expresse des Flamands !— souvenons-nous en quand les mêmes présentent cet utilisation comme abusive !) Bart Maddens recommande à la Flandre de l’utiliser systématiquement dès qu’un projet fédéral ou d’une autre région, de quelque nature que ce fût, ne lui plairait pas. Or, cette action en conflit d’intérêt retarde toute décision parlementaire de 120 jours pour le moins. A titre d’essai, le ministre flamand socialiste Frank Vandenbroucke avait lancé un tel conflit d’intérêt contre l’urgentissime loi-cadre anticrise, bloquant une décision urgente du gouvernement national (qui est, déjà, à 58% néerlandophone) parce qu’elle n’était pas assez favorable à la Flandre. Tout cela est un peu technique, mais en clair, cela revient à dire que la Flandre s’octroie de fait un droit de veto momentané sur toute décision de tout autre gouvernement belge. Et faites-moi confiance : elle l’utilisera. Ce sera un beau bordel ! Et en pleine crise ! Sont-ils fous ?
Nineteen-ninety-nine !
Non ! Ils ont tout simplement une idée derrière la tête, et on ne l’en sortira plus (de derrière leur tête). La Flandre veut l’autonomie qu’elle a votée en 1999 mais dont les dispositions sont à peu près toutes anticonstitutionnelles. Comme il faut une majorité des deux-tiers pour modifier la Constitution belge, la Flandre n’a aucune chance d’arriver à ses fins de façon légale, démocratique, sauf à négocier activement avec les Francophones (ce qu’elle refuse) ou à décréter son indépendance (ce qui la condamnerait économiquement — même Jean-Marie De Decker, grand populiste de droite radiclae, le reconnaît). Car si elle faisait cela, elle perdrait Bruxelles, les Communes à facilités et peut-être même Zaventem et le Ring (minimum vital pour Bruxelles dans le cadre d’une séparation probablement hostile d’avec la Flandre). Et elle ne peut accepter de céder sa soi-disant « capitale » (qui n’est capitale de la Flandre que sur le papier néerlandophone) où ne vivent même plus un dixième de « Flamands ». L’idée d’un état purement néerlandophone pose donc beaucoup trop de problèmes et coûtera beaucoup trop cher à la Flandre pour qu’elle s’en accommode. Alors, les Flamingants ont décidé de garder la Belgique comme outil (utilitaire) de prééminence flamande sur l’état. C’est en effet très pratique : les Flamands continuent à percevoir l’argent d’une capitale qu’ils haïssent, continuent à considérer que les Wallons sont à leurs basques, continuent à collaborer avec toutes les régions très riches d’Europe pour s’en sortir de mieux en mieux, au lieu de collaborer avec la Wallonie et Bruxelles pour essayer de monter ensemble un cadre économique favorable pour tous. Ils continuent à présenter le Wallon comme cause de tous leurs maux, et tout ira bien dans le meilleur de leur monde.
Ce scénario cynique est à l’ordre du jour. Dans la Déclaration Gouvernementale, Kris Peeters reprend en effet son texte préliminaire aux négociations de l’Octopus, daté de février 2008, dans lequel il rappelle les priorités de la Flandre. Je vous résume : il faut réformer l’état belge comme exigé en 1999 par le seul Parlement Flamand. Il n’y a rien à négocier. Il n’y a aucune concession à faire aux Francophones. Ce n’est pas exprimé de cette manière, mais étant donné que les seules contreparties qui intéresseraient les Francophones sont exclues d’avance (étendre Bruxelles, extension de la capitale aux communes à facilités ou bilingues, etc.), cela revient à un simple Diktat. C’est ça ou rien.
« Vous proposez d’affamer les Francophones… » dit un journaliste VRT à Bart Maddens.
Bart Maddens le rappellait dans Doorbraak à l’attention des oublieux : la Flandre entend réaliser ses prétentions de 1999 et tous ceux qui n’accepteraient pas seront laissés sans ressources jusqu’à ce qu’ils implorent à genoux un peu d’argent en échange de ce « tout » que la Flandre exige. Conformément à ces cinq résolutions d’il y a dix ans, le Gouvernement flamand nie toujours que Bruxelles est une région à part entière, prétend l’administrer « à deux, avec la Wallonie », sans l’avis des Bruxellois. Elle considère que la Belgique est composée de deux « Deelstaten » (états (con)fédérés) qui possèdent le pouvoir (qu’ils peuvent déléguer à l’état fédéral) et… Bruxelles. Le droit de chaque état (con)fédéré à la gestion de la capitale sera proportionnel à l’argent investi par chacun, ce qui de facto rattachera Bruxelles à la Flandre. (Et causera un véritable soulèvement.)
Ces résolutions prétendent encore que la Flandre est un territoire inviolable, ce qui ne correspond pas non plus à la Constitution qui, si elle consacre en effet une région unilingue néerlandophone, y inclut des communes bilingues de facto — une telle contradiction entraîne pour le moins la considération qu’il y a hésitation constitutionnelle sur l’unilinguisme de la Flandre, et donc que l’affirmation d’un principe de territorialité purement néerlandophone est abusif.
Sur le plan bruxellois, les visées de la Déclaration sont de nature à briser la nation : ainsi, elle recommande que toutes les nominations de fonctionnaires non-bilingues (qui seront) annulées par le Gouverneur provincial devront entraîner la destruction de ces nominations, et donc le renvoi sans conditions des fonctionnaires visés. Or, les Flamands considèrent que tous, absolument tous les fonctionnaires travaillant à Bruxelles doivent être bilingues. L’application d’une telle résolution amènerait des centaines, voire des milliers de licenciements secs. De quoi faire descendre toute l’administration bruxelloise, déjà la moins bien payée du pays, dans la rue. Et je ne parle même pas de l’exigence flamande de bilinguisme parfait du corps hospitalier : vous n’aurez plus jamais affaire, à Bruxelles, à un médecin francophone !
Les Flamands vont encore perdre.
Toutes ces exigences portent en elles l’échec de la Flandre. Dès 2007, j’avais prédit (sur l’excellent blog de Jean Quatremer) que les Flamands n’obtiendraient rien s’ils n’acceptaient pas l’idée même d’un compromis. Je refais l’identique prédiction. J’avais dit qu’ils n’avaient pas peur d’une grave crise économique pourvu qu’ils aient des avancées communautaires. On peut le constater aujourd’hui : après avoir provoqué deux ans de crise politique, en pleine crise financière pour une bonne partie, ils prennent le risque d’assommer l’état fédéral pour prouver à leur population que l’autonomie flamande avance. Les armes qu’ils viennent de se donner sont donc comme ces gaz moutarde dans les tranchées : elles tuent autant dans le camp adverse que dans le camp qui attaque. Un simple coup de vent suffit pour qu’elles se retournent contre l’attaquant et fassent le jeu de la défense.
Les Francophones ont donc face à eux un très mauvais joueur dont on va très rapidement voir les excès, ou qui manquera à ses promesses. A ce titre, le régionaliste francophone Olivier Maingain a peut-être raison de se réjouir du fait que ce soit désormais un ministre indépendantiste qui sera en charge des nominations des bourgmestres (francophones) et de la politique de flamandisation en périphérie bruxelloise : les décisions risquent bien d’être brutales. Interdiction des langues étrangères dans la rue, obligation du néerlandais sur les terrains de sport (c’est déjà le cas un peu partout), refus de nouveaux propriétaires francophones, anglophones, etc.
Le second problème flamand, c’est qu’ils n’ont absolument rien d’intéressant à proposer à leurs interlocuteurs. Se détacher de la Flandre est plus intéressant pour les Francophones qu’accepter le deal Maddens. Les résolutions flamandes de 1999 n’apportent et n’apporteront rien aux Bruxellois et aux Wallons, au contraire, s’ils y cédaient, ils seraient très largement perdants. Et comme les Flamands ont décidé par avance de ne céder sur rien, ils ne pourront que perdre coup sur coup. A chaque attaque, les Francophones ont de quoi esquiver, avec au pire, la scission du pays. Et alors ? Bruxelles et la Wallonie, ensemble, tiendront bien tête à l’international à la très nauséabonde réputation flamande et ont une excellente chance d’obtenir leur indépendance ensemble. De toutes façon, céder Bruxelles à la Flandre reviendrait à provoquer tôt ou tard une guerre civile, parce que tous les projets de Constitution flamande commencent par spécifier qu’il n’y a qu’une langue nationale et que c’est le néerlandais. Qui croit sérieusement à l’intention des Flamingants de faire une exception pour leur… capitale ?
Réserve indienne de démocratie.
Cette perspective donne un atout précieux à Bruxelles/Wallonie. Et plus les Flamands attaqueront les Francophones avec des méthodes totalitaires, brutales, apartheidistes, plus leur réputation empirera. Elle est déjà au plus mal. Quand ils prétendent prendre des mesures pour l’améliorer, les chancelleries s’esclaffent. Même l’ambassadrice de Chine s’est fendue d’une déclaration où elle prétend que les Flamands ne font pas mieux dans la périphérie que les Chinois au Tibet. La violence exceptée, c’est vrai, et ça se voit. Sauf au Gouvernement Flamand. Eux, ils ne voient rien. C’est même à se demander si les hommes politiques qui dirigent le Nord aujourd’hui sont en état intellectuel de comprendre comment fonctionne… la politique, la diplomatie, la démocratie. Ils ne comprennent pas qu’à chaque fois qu’ils « inventent » des concepts qui servent leur petit totalitarisme linguistique, ils s’éloignent de la démocratie au sens universel du terme. En Flandre, la démocratie est réservée aux Flamands. C’est très grave.
Ça l’est aussi pour le reste du pays, pour chaque habitant de cette nation qui ne m’apparaît plus que moribonde : elle ne pourra pas fonctionner longtemps sur le mode de la menace permanente du Nord sur le Sud et le Centre. Les promesses hautement populistes des Kris Peeters, Bart De Wever, et désormais aussi Caroline Gennez (socialiste) ne pourront pas être tenues, en aucun cas. La doctrine Maddens, qui rabaisse les Francophones au rang d’animaux qu’on fait plier en les affamant, est une infamie. Rien d’autre. Ce gouvernement flamand pourrira le pays, sa démocratie, son économie. Nous avons tout à y perdre, et rien à dire. J’espère que la Belgique dispose encore de suffisamment d’inertie nationale pour que ces gens se retrouvent gros Jean, hués par leurs électeurs face à leur échec, conspués par leurs opposants pour leur incurie. Mais l’échec des deux partis les moins autonomistes et le satisfecit apparent de la presse flamande face à l’imbécillité du volet communautaire de la Déclaration Gouvernementale flamande ne peut que conduire, si rien ne change, à l’affrontement.
L’inertie ou la violence.La seule chose qui m’empêche aujourd’hui de recommander la scission de Bruxelles et de la Wallonie et, par exemple, leur rattachement à la France, c’est que je sais la violence que cela entraînera immanquablement, et qu’à cette violence, je nous espère (nous : UE, ONU, etc.) suffisamment intelligents pour trouver une alternative.
J’avais écrit en 2008 que ces élections régionales de 2009 étaient cruciales parce qu’elles permettraient de juger de la sincérité des électeurs Flamands dans leur volonté de poursuivre l’expérience nationale ensemble. Le résultat est catastrophique. La chose raisonnable à faire serait de se séparer, mais ils n’auront pas Bruxelles. On retourne en rond. Jusqu’au jour où, peut-être, un Flamand dira : « et si on essayait de négocier, en étant prêt à céder quelque chose qui intéresse les Francophones ? » Il n’est peut-être pas né, celui-là !