29/04/2006 @ 09:06:32: KNEPA N'Est Pas Akretio
Finalement, entre l'informatique et la langue, il y a peut-être plus d'accointances qu'on ne l'aurait soupçonné. J'avais déjà parlé dans un précédent billet du Lipsum. Le moment est venu d'aborder un autre exercice de style digne des travaux de l'OuLiPo, j'ai nommé l'acronyme récursif.
(J'ouvre ici une de ces parenthèses que j'affectionne pour préciser qu'en français, on fait normalement la distinction entre sigle et acronyme, le premier étant épelé comme une suite de lettres - GPL par exemple - tandis que le second se prononce comme un mot ordinaire - c'est le cas notamment de WYSIWYG. Fut un temps où pour mieux marquer cette différence, on séparait les lettres des sigles par des points. Mais comme, progressivement, une joyeuse pagaille s'est installée dans l'emploi des points, qui tendent d'ailleurs à disparaître, comme l'anglais "acronym" ignore superbement la distiction susdite, et comme certains sigles/acronymes peuvent être l'un ou l'autre suivant la façon dont on les prononce, je me permets modestement de prophétiser l'estompement inéluctable de cette subtile nuance.)
Bon, ce point étant éclairci et la parenthèse soigneusement refermée, l'acronyme récursif, quoi-t'est-ce? Eh bien, pour commencer, ce n'est déjà pas un acronyme, d'abord, puisque la première lettre qui le compose ne représente rien, si ce n'est l'acronyme lui-même, ce qui permet des développements à l'infini.
Mais prenons un exemple avec le plus illustre d'entre eux, la bête à cornes préférée des manchots, le GNU.
- Qu'est-ce que le GNU?
- C'est l'acronyme récursif de "GNU's Not UNIX".
- Soit. Et c'est quoi, GNU, dans l'histoire?
- Eh bien, je viens de le dire: l'acronyme récursif de "GNU's Not UNIX".
- Oui, mais à part ça?
- A part ça?... rien.
Dans un acronyme récursif qui se respecte, la première lettre n'a donc pour seule fonction que de reprendre l'acronyme. La suite, pour bien faire (mais ce n'est pas obligatoire) se contente d'exposer ce que le concept n'est pas... et qu'il se trouve généralement être quand même un peu, parce qu'il faut, pour que notre bonheur soit complet, que ce soit paradoxal (et si c'est pas Radoxal, c'est donc son frère).
Autre exemple célèbre, construit sur le même modèle, WINE: "WINE Is Not An Emulator". Dans la mesure où c'est quand même un émulateur (sans quoi c'est Radoxal qui porterait le chapeau), certains ont voulu l'interpréter comme signifiant bêtement "WINdows Emulator", mais cette définition trop explicite pour être honnête relève d'une volonté mesquine de rationalisation.
C'est de bonne guerre, d'ailleurs, puisqu'il arrive, à l'inverse, que des plaisantins s'amusent à chercher des acronymes récursifs là où il n'y en avait pas au départ. Ainsi, PNG est un acronyme tout ce qu'il y a de plus ordinaire (sauf que c'est un sigle, en fait, mais ne cherchons pas la petite bête dans la meule de foin) signifiant "Portable Network Graphics". Cependant certains n'ont pas résisté à la tentation d'y lire l'acronyme récursif de "PNG's Not GIF".
Ce sera tout? Presque... Un acronyme récursif, c'est bien, deux c'est mieux. Mais avouez qu'il serait dommage de se priver du luxe suprême, à savoir deux acronymes mutuellement récursifs. C'est du moins ce qu'a dû se dire Thomas Bushnell quand il lui a fallu trouver un nom pour le projet du Hurd.
- Qu'est-ce donc que le Hurd?
- C'est un "Hird of Unix-Replacing Daemons".
- Fort bien, et le Hird alors?
- Je vous le donne en mille: un "Hurd of Interfaces Representing Depth".